Structuration de la recherche sur les anticorps et lymphocytes B dans le cadre des transplantations, greffes et déficits immunitaires

13 Nov 2023 | LA RECHERCHE | 0 commentaires

Cet article présente la structuration progressive de la recherche sur les anticorps et les lymphocytes B dans le cadre des transplantations, greffes et déficits immunitaires, au sein de l’Université de Bordeaux et du CHU de Bordeaux. Celle-ci est possible grâce à des interactions potentialisatrices issues de la collaboration entre le laboratoire de recherche ImmunoConcEpT* (UMR CNRS 5164, INSERM ERL1303), le laboratoire d’Immunologie et Immunogénétique du CHU de Bordeaux**, le laboratoire de Pathologie du CHU de Bordeaux***, de nombreux services cliniques du CHU**** ainsi que des collaborateurs internationaux*****.

 

Le système immunitaire est schématiquement constitué de deux composantes, l’une innée, non spécifique d’un antigène particulier et l’autre adaptative, reconnaissant des antigènes particuliers – par exemple spécifique d’un virus. La réponse adaptative fait intervenir des composantes cellulaires et des composantes humorales. Nous en avons beaucoup (re)parlé au cours de la pandémie, la réponse immunitaire humorale correspond à la production d’anticorps qui nous protègent des infections. Les anticorps sont produits à la suite de l’activation de leucocytes spécialisés, les lymphocytes B (LyB). Ces LyB sont capables de reconnaître et de présenter les antigènes étrangers aux lymphocytes T (LyT), notamment la sous-population LyT CD4+ qui sont en quelque sorte les chefs d’orchestre du système immunitaire. Cette coopération est indispensable pour une production quantitativement et qualitativement optimale des anticorps.

Cependant, l’activation des LyB et la production d’anticorps ne sont pas toujours bénéfiques, notamment après une transplantation d’organe solide ou une greffe de CSH, ou dans le DICV. Une production d’allo- ou d’auto-anticorps dirigés contre le greffon ou le patient, ou bien l’émergence de LyB pathologiques, se manifestent dans ces cas par un rejet de l’organe transplanté, une maladie chronique du greffon contre l’hôte (cGVHD, chronic Graft Vs Host Disease) après greffe de CSH, ou des cytopénies (déficit quantitatif d’un certain type de cellules sanguines) auto-immunes dans le DICV. Nous développons au laboratoire un programme de recherche visant à mieux comprendre la perte de tolérance des LyB et leurs interactions avec les LyT afin d’améliorer la prise en charge des patients souffrant de ce type de pathologie dans le contexte d’une greffe.

Le laboratoire ImmunoConcEpT est une unité mixte parfaitement intégrée au niveau hospitalo-universitaire. L’évolution de la recherche translationnelle s’y est donc souvent synchronisée avec des évolutions des activités hospitalières cliniques ou biologiques. Par exemple, l’internalisation des analyses d’histocompatibilité pour la transplantation d’organes solides par le laboratoire d’Immunologie et Immunogénétique (2004) a initié le développement de projets de recherche clinique et translationnelle centrés sur l’étude des anticorps anti-HLA (Human Leukocyte Antigens) en transplantation rénale pulmonaire, cardiaque et hépatique. Ces anticorps anti-HLA dirigés contre l’organe transplanté (DSA, Donor Specific Antibodies) sont responsables du processus de rejet humoral qui concerne tous les organes transplantés. Ces DSA sont présents avant la transplantation ou produits après celle-ci malgré les traitements immunosuppresseurs, et entraînent une dégradation plus ou moins rapide de la fonction du greffon, jusqu’à sa perte. Nos travaux sur les anticorps anti-HLA ont permis l’amélioration de l’utilisation et de la compréhension des résultats de la technique de référence de leur identification (Single Antigen Luminex, SAG). L’amélioration des connaissances sur les propriétés de ces anticorps s’est poursuivie via l’étude de leurs fonctions effectrices in vitro (activation du complément qui est un système effecteur pour la réponse immunitaire) et de leur capacité à se fixer sur le greffon (élution et caractérisation des anticorps à partir de biopsies) Nous avons par ailleurs breveté une méthode permettant de mesurer la concentration active et l’affinité des anticorps anti-HLA (QUANTI-HLAb) utilisant la résonance plasmonique de surface (Dr C Di Primo, IECB). Nous évaluons actuellement l’intérêt de QUANTI-HLAb dans un protocole de recherche clinique en transplantation pulmonaire (protocole AFFIHLA-P).

 

ligne chronologique des différentes étapes

L’activation spécifique des LyB par un antigène induit la production de LyB mémoires reconnaissant cet antigène. Ces derniers persistent plusieurs années à l’état quiescent mais peuvent se réactiver plus vite et plus intensément en cas de nouvelle rencontre de l’antigène. Dans le contexte de la transplantation d’organe, les LyB mémoires reconnaissant les antigènes HLA du donneur peuvent se réactiver pour produire des DSA et induire un rejet humoral. Existe-t-il différents types de LyB mémoires avant la greffe ? Ces différents types de LyB mémoires ont-ils un impact différent sur le rebond des DSA et la survenue d’un rejet ? Dans le projet BmemHLA, nous émettons l’hypothèse que le contexte au cours duquel ces LyB mémoires sont générés avant la transplantation induit différents types de LyB mémoires qui auraient une pathogénicité et des capacités de réactivation différentes au moment de la transplantation. Nous réalisons une étude de type preuve de concept afin de définir s’il existe différents types de LyB mémoires anti-HLA chez des patients en attente de transplantation rénale pour vérifier cette théorie. Identifier cette diversité de LyB mémoires nous permettrait à terme d’adapter de façon personnalisée les stratégies thérapeutiques en transplantation d’organes.

Simultanément, un autre projet innovant vise à : i) préciser le diagnostic de rejet humoral à l’aide de nouveaux biomarqueurs tissulaires et ii) décrire l’activation du système du complément au cours des lésions humorales grâce à une microdissection tissulaire suivi de protéomique par spectrométrie de masse (GlomProt). En parallèle se développent des outils d’intelligence artificielle destinés à mieux caractériser les lésions inflammatoires du rejet humoral à partir des biopsies de greffon. Ces outils permettront d’obtenir des résultats plus quantitatifs et reproductibles avec une forte perspective d’implémentation au sein du laboratoire de Pathologie (projet eNovAPath).

En 2018, l’internalisation des analyses d’histocompatibilité pour la greffe de CSH par le laboratoire d’Immunologie et Immunogénétique a donné l’occasion de renforcer l’universitarisation de cette activité clinique portée par le Pr E Forcade. Le Pr E Forcade a notamment réalisé sa mobilité internationale au Dana-Farber Institute (Boston, MA, USA) où il a développé des projets centrés sur la collaboration entre les LyT et les LyB, et notamment un sous-type de LyT CD4+ appelés auxiliaires folliculaires (Tfh pour T follicular helper) dans le contexte de la cGVHD. Les Tfh sont des LyT spécialisés dans l’aide des LyB à la production d’anticorps. La cGVHD est une pathologie complexe, entraînant des symptômes proches de certaines maladies auto-immunes telles que la sclérodermie systémique, avec une morbi-mortalité importante. Le développement d’une cGVHD implique fortement les LyT, notamment Tfh, comme démontré par le Pr Forcade, mais aussi les LyB, qui produisent dans ce contexte des anticorps dirigés contre le receveur. Ce rôle conjoint des LyT et LyB est le plus souvent étudié chez l’Homme sur des prélèvements sanguins. Cependant, la cGVHD se déroule dans les tissus. Un projet de recherche translationnel (TIL-GVHD, Tissue Immune Landscape – GVH) vise à évaluer les acteurs immunitaires aux deux niveaux sanguin et tissulaire. Nous espérons ainsi mieux comprendre les mécanismes mis en jeu par ces LyT et LyB au niveau tissulaire pour identifier de nouvelles cibles thérapeutiques.

En lien avec l’expertise bordelaise sur les anticorps en transplantation d’organe, notre objectif a ensuite été de renforcer l’expertise locale sur les LyB en greffes et transplantation, à travers le projet DABAT et la mobilité du Pr J Visentin à l’université de Duke, au sein du laboratoire de recherche du Pr S Sarantopoulos et en collaboration avec le Dr V Sisirak et le Pr E Forcade. La première partie de ce projet est centrée sur les voies de signalisation peu connues d’AIM2 dans les LyB lors de la cGVHD, En effet, l’analyse de LyB du sang périphérique de patients greffés de CSH montre une surexpression du gène AIM2 dans certains LyB activés lors de la cGVHD. AIM2 est un récepteur intracellulaire pour l’ADN double brin, capable d’activer l’inflammasome dans les cellules de l’immunité innée, notamment. Ceci entraîne la mort des cellules et le relargage de molécules induisant une forte inflammation. Nos résultats préliminaires montrent que des souris déficientes pour AIM2 au sein des LyB ont une réduction de la réponse immunitaire humorale. Ceci suggère qu’AIM2 possède un rôle important dans la fonction des LyB pendant et/ou après leur activation, et pourrait représenter une cible thérapeutique intéressante.

La seconde partie du projet DABAT, prenant place à Bordeaux, étudie le rôle intrinsèque de la DNASE1L3 dans les LyB. La DNASE1L3 est une enzyme clé régulant la quantité et la qualité de l’ADN circulant provenant des cellules mortes. En digérant cet ADN qui est produit en permanence dans l’organisme, la DNASE1L3 réduit le risque d’apparition de maladies auto-immunes. Notre hypothèse est que la DNASE1L3, surexprimée par les LyB pathologiques lors de la cGVHD perturbe la balance régulatrice des LyB.

L’étude des sous-populations des LyT nous a permis de montrer l’amplification des Tfh circulants chez les patients atteints de DICV ayant des complications non-infectieuses, complications qui peuvent néanmoins mettre en jeu leur pronostic vital (cytopénies auto-immunes, lympho-proliférations, granulomes). Nos résultats préliminaires révèlent également l’amplification d’une autre sous-population plus récemment décrite, les Tph qui pourraient jouer un rôle central dans l’initiation ou la perpétuation des phénomènes auto-immuns. Nous débutons un projet qui visera à déterminer i) si les Tph sont impliqués dans la physiopathologie de ces complications par collaboration avec des LyB pathologiques et ii) si la quantité de Tph circulants est un biomarqueur pouvant identifier les patients à risque de présenter ces manifestations.

 

 

En conclusion, les enseignants-chercheurs du Collège Santé, leurs collègues du laboratoire ImmunoConcEpT et du CHU de Bordeaux ont construit et continuent de développer le réseau de collaboration, les forces et les expertises nécessaires pour un programme de recherche de qualité. Celui-ci porte sur l’étude de la perte de tolérance des LyB et leur collaboration avec les LyT dans le cadre des transplantations, greffes et déficits immunitaires primitifs ou secondaires.

Nous anticipons que les années à venir amèneront de nouvelles découvertes fondamentales amenant à de nouvelles études cliniques. L’objectif pour nous étant l’amélioration de la prise en charge des patients ainsi que l’enseignement de l’immunologie aux étudiants en santé.

 

 

Pr VISENTIN Jonathan

 

 

UFR des Sciences Médicales – Collège Sciences de la Santé
Laboratoire ImmunoConcEpT UMR CNRS 5164 INSERM ERL1303
Service d’immunologie et immunogénétique, CHU Pellegrin
Site internet du laboratoire ImmunoConcEpT : https://immunoconcept.cnrs.fr/

 

Équipes et personnels impliqués

*ImmunoConcEpT (UMR CNRS 5164 INSERM ERL1303) : J Visentin, P Merville, L Couzi, H Kaminski, E Forcade, V Sisirak, D Duluc, P Blanco, I Pellegrin

**Laboratoire d’Immunologie et Immunogénétique du CHU de Bordeaux : J Visentin, P Blanco, G Guidicelli, M Cargou, M Ralazamahaleo, E Wojciechowski, M Duclaut, I Pellegrin, D Turpin, JL Taupin

***Laboratoire de Pathologie du CHU de Bordeaux : Bertrand Chauveau

****Services cliniques du CHU de Bordeaux
Transplantation rénale : P Merville, L Couzi, K Moreau, T Bachelet, F Jambon, H Bakis, H Kaminski, B Taton, M Neau-Cransac
Transplantation pulmonaire : C Dromer, X Demant
Transplantation cardiaque : K Nubret-Coniat, V Veniard
Transplantation hépatique : M Neau-Cransac
Médecine Interne : JF Viallard

*****Collaborateurs internationaux
Laboratoire de J Ritz, Dana-Farber Institute, Boston, MA, USA
Laboratoire de S Sarantopoulos, Duke University, Durham, NC, USA

Références

1) https://immunoconcept.cnrs.fr/
2) https://immunoconcept.cnrs.fr/axes/vulnerability-of-immunosuppressed-transplant-recipients-what-are-the-mechanisms-underlying-rejection-and-immune-tolerance/

Financements

a) AFFIHLA-P, Fondation du Souffle, Vaincre la Mucoviscidose, Association Grégory Lemarchal, Agence de la Biomédecine, Société Francophone d’Histocompatibilité et Immunogénétique, investigateur principal : Pr J Visentin
b) BmemHLA : AOI du CHU de Bordeaux, investigateur principal : Dr C Leibler.
c) Protéomique tissulaire en transplantation rénale et eNovAPath : Société Francophone de Transplantation, AOI CHU de Bordeaux, Fondation de Bordeaux Université-FGLMR/AVAD sur les maladies chroniques, Agence de la Biomédecine, CSL Behring, investigateur principal : Dr B Chauveau.
d) Mobilité du Pr E Forcade : programme MD-PhD du CHU et Université de Bordeaux
e) TIL-GVHD : Agence de la Biomédecine, investigateur principal : Pr E Forcade
f) DABAT : Marie-Sklodowska Curie Actions, Société Francophone de Transplantation, Fondation CSL Behring, investigateur principal : Pr J Visentin
g) Tph et DICV : en cours de recherche de financements, investigateur principal : Pr J Visentin

 

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