Le parcours en chirurgie orale du Dr Mathilde Fénelon
La chirurgie orale est une spécialité encore jeune en constante évolution, qui se situe à l’interface entre médecine et odontologie. Dès mes premières années d’études en Odontologie, j’ai été captivée par les pathologies osseuses et muqueuses de la cavité buccale, ainsi que par leur prise en charge chirurgicale. Cette passion m’a guidée tout au long de mon parcours, depuis l’internat jusqu’à mes travaux de recherches actuels en ingénierie tissulaire. Aujourd’hui, à travers mon activité clinique, d’enseignement et mon engagement en recherche, je cherche à contribuer au développement de cette discipline. Cet article retrace mon parcours, mes motivations et les perspectives d’innovation qui animent mon travail au quotidien.
Un parcours guidé par la création d’une nouvelle spécialité : la chirurgie orale
Lors de mes études en chirurgie dentaire, j’ai rapidement été passionnée par les enseignements portant sur les pathologies osseuses orales ainsi que leur prise en charge chirurgicale. J’ai donc choisi de passer le concours national de l’internat en odontologie afin d’intégrer la première promotion du Diplôme d’Études Spécialisées en Chirurgie Orale (DESCO) (Arrêté du 31 mars 2011, modifié par l’Arrêté du 18 octobre 2017). Crée en 2011, la chirurgie orale est une jeune spécialité à double entrée puisque l’internat est accessible depuis les filières odontologique et médicale. Il s’agit d’une spécialité médico-chirurgicale s’intéressant aux pathologies des mâchoires et des tissus attenants. Ce diplôme remplace le DES de Chirurgie Buccale (DESCB) anciennement accessible depuis la filière odontologique et le DES de Stomatologie, côté médecine. L’internat est commun aux internes issus des deux filières. Une des forces de cette spécialité repose sur la cohabitation entre les internes médecins et dentistes créant une importante synergie. Cette formation de 4 ans m’a permis de réaliser des stages passionnants dans des services de chirurgie orale, chirurgie maxillo-faciale et chirurgie ORL. Cela m’a aussi sensibilisée à l’importance du compagnonnage entre praticiens seniors et internes.
Cet internat a également été l’occasion de découvrir le monde de la recherche. J’ai obtenu une année recherche qui m’a permis de suspendre mes stages cliniques pendant un an afin de réaliser un Master 2 Recherche en biologie cellulaire et physiopathologie. Après l’obtention de mon DES de chirurgie orale en 2016, j’ai souhaité poursuivre une carrière conjuguant activité clinique, enseignement et recherche. J’ai débuté une thèse d’Université sous la direction du Professeur Fricain au sein du laboratoire BioTis (INSERM UMR1026) en parallèle de mon assistanat, ouvrant ainsi la voie à un engagement plus poussé dans l’ingénierie tissulaire appliquée à la chirurgie orale. Pendant quatre années, en tant qu’assistante hospitalo-universitaire, j’ai eu l’opportunité d’enseigner à l’UFR d’Odontologie de Bordeaux, d’encadrer les externes et les internes DESCO et de développer mon expertise en chirurgie orale au sein du CHU de Bordeaux. En 2020, j’ai été nommée Maître de Conférences des Universités – Praticien Hospitalier (MCU-PH), une étape clé me permettant d’intensifier mes activités de recherche et d’enseignement.
Une activité riche et transversale
La richesse de ce métier réside dans la diversité de nos missions. Que ce soit dans la formation des étudiants, la prise en charge des patients, la recherche ou l’innovation pédagogique, chaque mission nous permet d’évoluer, d’apprendre et de contribuer activement à l’avancement de notre discipline. De plus, cette profession offre une grande liberté dans le choix des thématiques de recherche ou des spécialisations hospitalières, permettant ainsi à chacun d’explorer des voies qui correspondent à ses intérêts et à ses motivations professionnelles.
J’ai été nommée responsable du département de chirurgie orale à l’UFR des Sciences Odontologiques –Université́ de Bordeaux depuis 2019. Mon activité d’enseignement concerne principalement la formation initiale en chirurgie orale : techniques chirurgicales et risques médicaux en chirurgie orale. Une partie de mon enseignement est également dédiée aux pathologies osseuses (ostéites, kystes et tumeurs bénignes maxillaire ou mandibulaire) ainsi qu’à la chirurgie orale chez l’enfant (chirurgie à visée orthodontique, avulsion de dents incluses, etc.). Nous essayons de privilégier un enseignement en format hybride. Les étudiants disposent de cours en ligne (vidéos, power point commentées, polycopiés …) et ces cours sont complétés par des enseignements interactifs réalisés en présentiel sous forme de cas clinique.
Mon activité hospitalière combine encadrement des externes de chirurgie dentaire et des internes DESCO, soins et responsabilités administratives depuis ma nomination en tant que chef de service adjoint du service de Chirurgie Orale au CHU de Bordeaux. Mon activité clinique s’articule autour de 3 grands axes : 1) la prise en charge des pathologies osseuses bénignes maxillaires et mandibulaires (kystes, tumeurs bénignes et ostéites) ; 2) la chirurgie orale pédiatrique (chirurgie à visée orthodontique, troubles de l’éruption…) et 3) la prise en charge de patient au sein du centre de compétence des maladies rares orales et dentaires (O-RARES), cette activité se recoupant avec les 2 axes précédents. Ces domaines nécessitent une approche interdisciplinaire, favorisant des collaborations étroites avec d’autres spécialités (médecin radiologue, anatomopathologiste, pédiatre, orthodontiste…). Dans un souci de perfectionnement et d’ouverture scientifique, j’ai également réalisé une mobilité d’un an au sein du Service de Chirurgie Maxillofaciale et buccale des Hôpitaux Universitaire de Genève (Suisse). Cette année de mobilité m’a permis de consolider et d’enrichir ma formation théorique et pratique sur la prise en charge des pathologies osseuses bénignes des mâchoires. Une partie de mon activité́ était dédiée à la réalisation d’une étude clinique portant sur la prise en charge des patients atteints d’ostéomyélite. J’ai également approfondi mes connaissances en conception et fabrication assistée par ordinateur (CFAO). Cela m’a permis de développer de nouvelles applications cliniques en chirurgie guidée dès mon retour au sein du Service de Chirurgie Orale du CHU de Bordeaux (Fig 1).

Figure 1. Apport de la CFAO pour la réalisation d’un guide de coupe pour l’exérèse d’une tumeur osseuse bénigne mandibulaire. L’examen radiologique en 3dimension du patient (Cone Beam) permet d’objectiver une lésion osseuse mandibulaire radio-opaque. Un logiciel de planification (coDiagnostiX, Straumann®) a été utilisé pour segmenter virtuellement la mandibule, visualiser le nerf alvéolaire inférieur, et superposer les données STL issues de l’empreinte optique avec les données DICOM issues du cone beam. En collaboration avec le laboratoire de prothèse, un guide de coupe à appui dentaire a été conçu, puis imprimé en résine par impression 3D par DLP (Digital Light Processing). Une fois positionné en bouche, le guide a servi à la découpe d’une fenêtre osseuse. Le guide a ensuite été retiré pour réaliser l’exérèse de la lésion, puis la fenêtre osseuse a pu être repositionnée et stabilisée par une vis d’ostéosynthèse, permettant ainsi une chirurgie minimalement invasive. © Mathilde Fénelon
Une activité de recherche au service de l’innovation en chirurgie orale
J’ai la chance d’avoir une activité de recherche qui s’inscrit dans la thématique de la chirurgie orale, me permettant ainsi, d’avoir une certaine transversalité avec mon activité clinique et d’enseignement. En effet, mes travaux de recherche concernent la régénération osseuse, problématique quotidienne à laquelle est confronté le chirurgien oral. Au cours de mes travaux de Masters et de doctorat, et depuis ma nomination en tant que MCU-PH, j’ai eu l’opportunité d’étudier différents biomatériaux pour la régénération osseuse (substituts osseux et membrane).
Mes travaux se sont principalement intéressés à l’apport de la membrane amniotique humaine (MAH) pour la régénération de perte de substance osseuse. La MAH est la couche la plus interne du placenta. Ce tissu immunitairement privilégié est une source de plusieurs facteurs de croissance et de cellules souches, lui conférant ainsi des propriétés biologiques uniques (anti-inflammatoire, anti-fibrotique ou antibactériens…) (Fig 2). Du fait de ses nombreuses propriétés biologiques, la MAH préservée est actuellement couramment utilisée en ophtalmologie et en dermatologie comme pansement biologique pour la cicatrisation. L’objectif principal de mes travaux était de déterminer les meilleures conditions d’utilisation et de préservation de la MAH pour la régénération de perte de substance osseuse. Dans une première partie expérimentale, l’influence des faces de la MAH appliquées au contact du défaut osseux ainsi que l’effet de la cryopréservation ont été́ étudiés. Dans une seconde partie expérimentale, une nouvelle méthode de décellularisation de la MAH, simple et reproductible, a été développée. Dans une troisième partie expérimentale, la réparation osseuse de défauts de taille non-critiques et critiques a eté́ évaluée en présence de la MAH préservée selon différentes méthodes et la MAH a été comparée à la technique de la membrane induite. Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec le Service de Gynécologie-obstétrique du CHU de Bordeaux ainsi qu’avec l’établissement français du sang (EFS Nouvelle Aquitaine) pour le prélèvement de placenta, le Centre d’Investigation Clinique Innovation Technologique (CIC-IT) Biomatériaux et Dispositifs Médicaux de Bordeaux, ainsi qu’avec le Dr Florelle Gindraux (chercheur, Besançon). Ils m’ont également permis d’intégrer un réseau européen : the European Cooperation in Sciences and Technologies (COST), “International Network for Translating Research on Perinatal Derivatives into Therapeutic Approaches”. J’ai poursuivi ces travaux en encadrant plusieurs étudiants en Master 2 afin de développer des stratégies d’optimisation de cette membrane en l’associant notamment à d’autres membranes telle que le chorion.
L’ensemble de ces travaux ont servi de base à l’élaboration d’un Projet Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC) multicentrique, porté par Besançon, et évaluant les bénéfices de la membrane amniotique cryopréservée pour le traitement des nécroses osseuse des mâchoires d’origine médicamenteuse. Nous avons pu débuter l’inclusion de patients dans cette étude fin 2024 dans le service de chirurgie orale de Bordeaux.
Plus récemment, l’obtention de mon Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) a marqué une nouvelle étape dans mon parcours, me permettant d’encadrer des doctorants et de développer mes propres travaux de recherche. Je poursuis une thématique de recherche portant sur le développement et la caractérisation de nouveaux biomatériaux pour la régénération osseuse. Grâce à l’obtention récente d’un financement ANR JCJC, je m’intéresse notamment aux stratégies d’optimisation d’une membrane composite alliant les propriétés biologiques d’une membrane naturelle aux propriétés mécaniques d’une membrane synthétique grâce aux techniques d’impression 3D. Je participe également à un autre projet ayant obtenu un financement ANR Projet de recherche collaborative- entreprise (PRCE). Il s’agit d’un projet portant sur la fabrication d’un substitut osseux personnalisé à base de phosphate de calcium avec des porosités multi-échelles. La conception de ce substitut osseux repose sur une technologie innovante de fabrication additive, le Moulage Dynamique, développée par l’entreprise 3-DEUS. Je suis responsable de la partie du projet visant à évaluer les propriétés biologiques de ce nouveau matériau.
Mon engagement dans la recherche s’est également concrétisé par l’encadrement de plusieurs thèses d’université et masters, avec le souhait de participer à la formation de nouveaux cliniciens-chercheurs.

Figure 2. Propriétés biologiques de la membrane amniotique humaine. © Mathilde Fénelon
Perspectives et engagements à venir
Mon objectif est de continuer à allier clinique, enseignement et recherche pour faire progresser la discipline de la chirurgie orale. L’évolution des techniques, la recherche portant sur le développement de nouveaux biomatériaux et l’utilisation croissante de l’impression 3D, ouvrent des perspectives enthousiasmantes pour améliorer la prise en charge de nos patients. Enfin, l’intégration progressive de l’intelligence artificielle dans nos enseignements constitue également un challenge fascinant pour les prochaines années.
Mathilde Fénelon
MCU-PH en Chirurgie Orale
UFR d’Odontologie de Bordeaux
Service de chirurgie orale, CHU de Bordeaux
Centre de compétence des maladies rares orales et dentaires, CHU de Bordeaux
Laboratoire BioTis, INSERM UMR1026, Bordeaux
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