Parasites et animaux venimeux : une perspective de santé unique face aux maladies émergentes.

12 Juil 2024 | LA RECHERCHE | 0 commentaires

Bien qu’ayant subi d’importantes attaques du fait de réformes successives, il existe encore quelques heures d’enseignements « Naturalistes » dans les études de pharmacie.

Je fais partie d’une espèce d’enseignant-chercheur en voie de disparition qui enseigne la zoologie (ou plutôt la diversité animale) et en particulier deux grands groupes d’animaux que sont les parasites et les animaux venimeux.

Mon activité de recherche au sein du laboratoire Microbiologie Fondamentale et Pathogénicité (UMR CNRS 5234) porte sur l’étude des trypanosomes, parasites unicellulaires responsables de maladies tropicales négligées à la fois chez les humains et les animaux d’élevage en Afrique subsaharienne (1,2).
Le grand public a probablement entendu parler de la mouche tsé-tsé, diptère piqueur hôte-vecteur de ces parasites responsables de leur transmission et de la maladie du sommeil qui touche les humains.

 

Bien que souvent perçus comme nuisibles ou dangereux, les parasites et les animaux venimeux jouent en réalité un rôle crucial dans les écosystèmes et offrent des opportunités d’étude fascinantes. L’étude de ces organismes est essentielle pour comprendre les mécanismes des maladies émergentes et pour promouvoir l’approche « Une santé unique », qui reconnaît les liens étroits entre la santé humaine, animale et environnementale.
Les Maladies Tropicales Négligées sont des affections peu prises en compte dans l’action mondiale en faveur de la santé et dont la charge est supportée en grande majorité par des pays à très faibles ressources situés dans les zones tropicales. Pourtant, elles concernent plus d’un milliard et demi de personnes et il est intéressant de noter que l’Organisation mondiale de la santé a inscrit dans sa liste d’une vingtaine de Maladies Tropicales Négligées un certain nombre de parasitoses, ainsi que les envenimations par morsures de serpents (3,4).

Les parasites sont des organismes qui vivent aux dépens d’un autre organisme, appelé hôte, dont ils tirent leurs nutriments. Ils sont présents dans tous les écosystèmes et jouent un rôle important dans la régulation des populations et le maintien de la biodiversité. L’étude de ces organismes permet de mieux comprendre les interactions avec leur(s) hôte(s) et les mécanismes évolutifs qui en découlent. De plus, ils peuvent servir d’indicateurs de la santé des écosystèmes et des animaux qui les habitent, en renseignant sur la qualité de l’environnement, les perturbations écologiques ou les changements climatiques.
Ainsi, l’étude des parasites contribue à la surveillance et à la préservation de la biodiversité, il est alors surprenant de voir que ces organismes n’attirent que peu d’attention (peu de financements des recherches et programmes de lutte).

Au sein de l’équipe iMET (dirigée par le Dr Frédéric Bringaud) je m’intéresse au métabolisme des trypanosomes africains et notamment ceux qui sont responsables de trypanosomoses animales (appelées Nagana, Dourine, Surra) particulièrement négligées en dépit de pertes estimées à plusieurs dizaines de milliards de dollars tous les ans pour l’Afrique constituant ainsi un véritable frein au développement de ce continent. Les trypanosomes sont depuis longtemps des modèles robustes en biologie, ayant fait l’objet de nombreuses découvertes cruciales (Edition de l’ARN, ARN interférence, etc…).
Nous représentons l’un des rares laboratoires maîtrisant la culture de différentes espèces de ces parasites mais aussi capable de mener des expériences de génomique fonctionnelle modernes (CRISPR/CAS9, ARN interférence…), afin de les étudier. L’évolution de mes projets de recherche m’a conduit à partir de l’étude du métabolisme lipidique et la découverte de nouvelles enzymes (5,6), à m’intéresser à un compartiment cellulaire finalement peu connu chez les trypanosomes mais aussi plus largement chez les cellules eucaryotes : les gouttelettes lipidiques. Nous caractérisons actuellement de nouvelles protéines impliquées dans la biologie de ces compartiments ce qui permettra très certainement d’ouvrir de nouvelles perspectives bien au-delà de notre champ disciplinaire.

 

à gauche : formes insectes de Trypanosoma brucei (contraste de phase) ;
à droite : marquage des gouttelettes lipidiques à l’aide de rouge du Nile (Fluorescence). Crédits : Loïc Rivière

 

Parallèlement, nous essayons de développer de nouvelles approches pour le diagnostic de ces parasitoses par la découverte de nouvelles cibles et la mise au point de nouvelles méthodologies. Par exemple récemment nous avons caractérisé une nouvelle lipase parasitaire (6) et montré qu’elle pourrait être utilisée comme cible pour un test de détection de trypanosomes (7).

Cimex lectularius (« punaise de lits »). Crédits : Loïc Rivière

Il apparaît plus que nécessaire d’étudier et d’enseigner la parasitologie. Un exemple assez évocateur est celui des punaises de lit. Depuis plus de 10 ans je sensibilise les étudiants en pharmacie à la reconnaissance de ces organismes et aux nuisances qu’ils engendrent, la problématique étant bien connue depuis longtemps mais finalement peu considérée. L’actualité récente a fini malheureusement par me donner raison, réjouissons-nous que ces insectes ne véhiculent pas de maladies infectieuses …

Oophaga gralunifera (Grenouille venimeuse, Costa Rica). Crédits: Loïc Rivière

Par ailleurs, les animaux venimeux, tels que les serpents, les araignées, les méduses et les cônes marins, produisent des toxines pour se défendre, capturer leurs proies ou rivaliser avec d’autres espèces. Ces toxines, résultat de millions d’années d’évolution, présentent des propriétés biochimiques uniques. L’étude des venins et des toxines animales a conduit à la découverte de nombreuses molécules d’intérêt thérapeutique, comme le captopril, un médicament largement utilisé pour traiter l’hypertension artérielle, développé à partir du venin d’un serpent brésilien. L’étude des animaux venimeux offre donc un potentiel considérable pour le développement de nouveaux médicaments et traitements.

Observons également le rôle des parasites et des animaux venimeux dans la perspective des changements environnementaux. En effet, La déforestation, l’urbanisation, le changement climatique et la mondialisation favorisent l’émergence et la propagation des maladies infectieuses ainsi que d’espèces animales (ou végétales) parfois qualifiées d’invasives. L’étude de ces organismes permet de mieux comprendre les impacts de ces changements sur la santé humaine et animale, et d’anticiper les risques sanitaires futurs (8).

Les maladies émergentes qui menacent d’augmenter à l’avenir, sont souvent causées par des parasites, transmises par des vecteurs ou via un passage par des animaux sauvages de compagnie ou d’élevage. L’approche « Une seule santé » reconnaît que la santé humaine, animale et environnementale est interconnectée et que ces affections doivent être abordées de manière globale et intégrée. L’étude des parasites et des animaux venimeux est essentielle pour comprendre les mécanismes de transmission et d’évolution de ces maladies, ainsi que pour développer des stratégies de prévention et de contrôle efficaces. Ces organismes jouent un rôle clé dans les écosystèmes et offrent des opportunités de recherche uniques pour le développement de nouveaux médicaments et traitements. En investissant dans la recherche sur les parasites et les animaux venimeux, nous contribuons à préserver la biodiversité, à améliorer la santé humaine et animale, et à nous préparer aux défis sanitaires futurs.

 

Enfin, dans un monde de plus en plus numérisé et virtualisé, il est essentiel de garder les yeux ouverts sur le vivant dans sa diversité et de s’en émerveiller, tout en prenant conscience que les humains, en provoquant des agressions sur le monde vivant environnant, subissent un juste retour de bâton …

 

 

Pr RIVIÈRE Loïc

 

 

UFR des Sciences Pharmaceutiques – Collège Sciences de la Santé
Laboratoire Immunologie Fondamentale et Pathogénicité UMR 5234
Équipe Métabolisme intermédiaire et énergétique des trypanosomes (IMET)
Site internet du laboratoire : https://www.mfp.cnrs.fr/wp/

 

Références

1 Morrison, LJ, Steketee, PC, Tettey, MD & Matthews, KR Pathogenicity and virulence of African trypanosomes: From laboratory models to clinically relevant hosts. Virulence 14, 2150445 (2023)
2 Giordani, F, Morrison, LJ, Rowan, TG, DE Koning, HP & Barrett, MP The animal trypanosomiases and their chemotherapy: a review. Parasitology 143, 1862–1889 (2016)
3 The London Declaration on neglected tropical diseases. Uniting to Combat NTDs; 2012 (http://unitingtocombatntds.org/resource/london-declaration, accessed 13 March 2017)
4 CA J, Kumar P V, Kandi V, et al (February 09, 2024) Neglected Tropical Diseases: A Comprehensive Review. Cureus 16(2): e53933. DOI 10.7759/cureus.53933
5 Rivière, L et a. Acetate produced in the mitochondrion is the essential precursor for lipid biosynthesis in procyclic trypanosomes. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 106, 12694–12699 (2009)
6 Monic, SG et al A novel lipase with dual localisation in Trypanosoma brucei. Sci. Rep. 12, 4766 (2022)
7 Tounkara M, Boulangé A, Thonnus M, Bringaud F, Bélem AMG, Bengaly Z, Thévenon S, Berthier D, Rivière L et al. Novel protein candidates for serodiagnosis of African animal trypanosomosis: Evaluation of the diagnostic potential of lysophospholipase and glycerol kinase from Trypanosoma brucei. PLoS Negl. Trop. Dis. 15, e0009985 (2021)
8 Martinez PA, Barbosa da Fonseca Teixeira I, Siqueira-Silva T, Barbosa da Silva FF, Gonzaga Lima LA, Chaves-Silveira J, Olalla-Tárraga MA, Gutiérrez JM, Ferreira Amado T. The Lancet Planet Health (2024). 8: e163-71

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