Si on vous disait … que l’organe le plus important du corps humain était le muscle ?
Il représente plus d’un tiers du poids corporel et on en dénombre près de 640 différents. Il possède un rôle essentiel dans la locomotion, le soutien des articulations, la production d’énergie et de chaleur, et ce grâce à sa fonction principale : la contraction. Celle-ci est assurée par de minuscules entités fonctionnelles hautement organisées, composées notamment de filaments fins (actine) et épais (myosine), et appelées les sarcomères.
Cependant, l’homéostasie du tissu musculaire peut être menacée sous l’influence de divers facteurs : des facteurs extrinsèques comme la dénutrition ou le déconditionnement mais également des facteurs intrinsèques comme la sénescence associée au vieillissement pathologique ou l’inflammation et le stress oxydant associés aux maladies chroniques. Lorsque les capacités d’adaptation du tissu musculaire sont dépassées, et notamment lorsque les capacités de synthèse protéique (anabolisme) sont dépassées par les systèmes de dégradation protéique (catabolisme), on assiste à une atrophie progressive, qu’elle soit à l’échelle cellulaire (myofibre) ou de l’organe entier. Lorsque la masse musculaire descend en deçà d’un certain seuil, on parle alors de sarcopénie.
La sarcopénie (du grec sarks : chair) correspond en effet à une perte de masse et de force musculaire souvent présente chez le sujet âgé, mais compliquant également de nombreuses maladies chroniques, comme le diabète, l’insuffisance cardiaque ou encore la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) 1. Elle est à distinguer de la cachexie qui représente une perte active de substance musculaire liée à un état métabolique pathologique sous-jacent (l’exemple le plus fréquent étant le cancer). Les mécanismes à l’origine de la sarcopénie sont encore mal compris, car cette pathologie est souvent sous-diagnostiquée ou bien à un stade tardif. Elle ne possède pas de traitement médicamenteux validé en pratique clinique : seules les thérapeutiques non médicamenteuses comme la prise en charge nutritionnelle et la réadaptation à l’effort ont montré une balance bénéfices/risques satisfaisante.
Dans ce contexte, je m’intéresse particulièrement aux rôles ainsi qu’aux interactions des différentes cellules musculaires (figure 1) 2 dans l’apparition de la sarcopénie. En particulier, les cellules satellites représentent les cellules souches adultes du tissu musculaire 3. Elles sont situées directement en contact avec les fibres musculaires différenciées (myofibres), sous leur lame basale. Quiescentes à l’état stable, elles sont activées en cas de rupture de la lame basale (lésion musculaire), se différencient en myoblastes, prolifèrent, fusionnent entre elles ou avec la myofibre lésée. Elles sont abritées au sein d’une « niche » cellulaire comportant notamment cellules endothéliales, péricytes et progéniteurs fibro-adipogéniques. Il n’est pas encore clair si des défauts intrinsèques des cellules satellites suffisent à expliquer l’apparition de la sarcopénie ou si celle-ci est la conséquence d’un micro-environnement délétère pour ces cellules.
Afin d’étudier cette question, j’ai la chance de bénéficier d’un temps protégé pour la recherche dans le Centre de Recherche Cardio-Thoracique de Bordeaux (CRCTB Inserm U1045), dirigé par le Pr Patrick Berger. Au sein de l’équipe 2 (« remodelage bronchique »), et plus précisément du groupe BPCO dirigé par le Pr Isabelle Dupin, je souhaite pouvoir développer la thématique de la physiologie du muscle squelettique. La sarcopénie est en effet une comorbidité grevant fortement le pronostic des patients atteints de BPCO. Le but de mon projet de recherche est d’étudier à moyen terme la sarcopénie associée à la BPCO, puis d’élargir sur le long terme à toute forme de sarcopénie (qu’elle soit associée au vieillissement ou à d’autres maladies chroniques comme les maladies auto-immunes).
Ainsi, je propose de créer un modèle in vitro de muscle squelettique en 3D, suivant les récents travaux de l’équipe concernant la mise au point d’un modèle 3D de bronche et d’alvéole, respectivement portés par le Pr Isabelle Dupin et le Dr Maéva Zysman. Ce modèle sera créé à partir de cellules musculaires humaines de sujets sains ou de patients atteints de sarcopénie. Pour cela, nous amplifierons in vitro des cellules satellites issues de prélèvement de tissu musculaire adulte, grâce à une collaboration avec le service de chirurgie orthopédique du Pr Thierry Fabre, afin de les intégrer dans un modèle en 3 dimensions reflétant la physiologie du muscle in vivo. Le modèle pourra par la suite être complexifié avec d’autres types cellulaires, comme des cellules endothéliales ou des progéniteurs mésenchymateux. Différentes pistes sont à l’étude afin de développer un modèle 3D physiologiquement pertinent et adapté à la question de la sarcopénie, notamment via des collaborations avec d’autres laboratoires de recherche de l’Université de Bordeaux (notamment Dr Gaëlle Recher au LP2N 4 et Dr Vincent Studer à l’IINS 5). Un tel modèle pourra être utilisé pour étudier les mécanismes impliqués dans l’apparition et le développement de la sarcopénie, mais pourrait également être transposable à d’autres pathologies, comme les dystrophies musculaires.
Dr HENROT Pauline
UFR des Sciences Médicales – Collège Sciences de la Santé
Centre de recherche Cardio-Thoracique de Bordeaux, INSERM U1045
Service des Explorations Fonctionnelles Respiratoires, CHU de Bordeaux
Site internet : https://www.bronchialremodeling.com/bpco
Références
- Cruz-Jentoft, A. J. & Sayer, A. A. Sarcopenia. Lancet 393, 2636–2646 (2019).
- Henrot, P. et al. Cellular interplay in skeletal muscle regeneration and wasting: insights from animal models. Journal of Cachexia, Sarcopenia and Muscle 14, 745–757 (2023).
- Relaix, F. & Zammit, P. S. Satellite cells are essential for skeletal muscle regeneration: the cell on the edge returns centre stage. Development 139, 2845–2856 (2012).
- Andrique, L. et al. A model of guided cell self-organization for rapid and spontaneous formation of functional vessels. Sci. Adv. 5, eaau6562 (2019).
- Strale, P.-O. et al. Multiprotein Printing by Light-Induced Molecular Adsorption. Adv Mater 28, 2024–2029 (2016).
0 commentaires